Votre château
dans le ciel
Cher Grégory,
Je n’imagine aucun
anniversaire plus violent que ce jour maudit où la maladie infâme vous a
cruellement emporté.
Si mes chroniques
déversent des rivières acides sur les célébrités agaçantes du show-business, je
m'abandonne à ce recueillement épistolaire marquée par la tristesse de
votre disparition témoignée depuis six années par vos proches aimants, vos
fidèles admirateurs, les anonymes charitables et les patients éperdument
touchés par ce même fléau qui a volé votre vie. Je vous revois encore
apparaître devant ma télévision et disparaître vers la lumière de nos mémoires.
Tout est passé si vite. Trop vite.
Je me souviens de
ce château immense, de vos camarades sevrés de gloire dans une académie aux
promesses mitigées, du caractère bien trempé de vos professeurs, de ces
brimades exacerbées, de ces accolades franches, de ces rivalités amicales, de
cette sueur salée ruisselant sur vos yeux cernés par la fatigue, de ces notes
parfaites surgissant de votre gorge, de votre souffle altéré, de ce mal
invisible que vous dissimuliez avec bravoure et pudeur.
Votre combat
instinctif dépasse toutes les limites de notre inconscient, se soustrait à
notre ignorance puis écrase sur la route indécise nos angoisses inutiles. Je mêle mes sentiments
à cette gentillesse authentique que vous ne cessez de dégager à travers les
archives et les photos des magazines qui continuent à honorer votre noble
parcours. Au-delà de la souffrance infligée par ces traitements inhumains que
nos pires ennemis ne mériteraient de subir, vous incarnez la force
indissociable de l’union qui nous rassemble autour de votre fatale révérence.
Soldat de l’espoir, vous êtes tombé au «chant» de votre honneur le 30 avril 2007
sans connaître la joie d’une délivrance bienveillante.
A travers l’histoire
écrite à l’encre d’un dieu faillible qui vous a lâchement abandonné, je
n’approuverai jamais cette fin là. Dans votre paradis substantiel, je vous
imagine à la fenêtre d’une autre bâtisse plus silencieuse. Vous y contemplez
notre monde s’effondrer à chaque seconde et l'espoir grandir dans l'épreuve. Et surtout, vous chantez d'une voix claire. Votre magie incandescente continue mélodieusement à éclaircir nos âmes ternes pour nous vouer
à l’essentiel: la vie est un cadeau que l’on nous a donné. Et la reprendre
c’est nous tuer. Vous ne lirez pas cette lettre. Alors, je vous l'envoie machinalement vers le château de pierres bâti au milieu d’un ciel azuré où vous vous êtes réfugié.
Hervé Gaudin
NB: Grégory Lemarchal aurait eu 30 ans le 13 mai 2013.