Le mauvais tour de France
Amère
d’avoir perdu son étoile du Berger la guidant aveuglement vers un succès
annoncé d’avance, France Gall s’en prend allègrement à Jenifer, glamour et sexy
à souhaits. La samba des coups bas s’emballe. Une déclaration d’amertume
d’une vieille poupée qui ne se prive pas de balancer au tout-Paris sa vive
colère, ne résiste pas à ma désolation. S’autoproclamant gardienne du temple du
patrimoine artistique de son défunt mari, Babou* se régale à se plaindre par
médias interposés. Selon ses dires, elle accuse la jeune ténébreuse d’avoir
repris sans son autorisation les chansons écrites par son pygmalion perdu sans
doute au beau milieu d’un paradis blanc. L’accusée se défend de ne jamais avoir
été reçue. Ma neutralité à caractère helvétique me conduit à ne pas prendre
parti au milieu de cette querelle puérile. Soumis à une curiosité sans limite,
je me suis sacrifié à la cause en écoutant "Ma déclaration". En
scrutant la pochette de cet album fardée au lipstick rouge sang, Jenifer
ressemble bien plus à la provocante Lio qu’à la marraine de Babacar. Puis, en
écoutant plusieurs titres avec attention, je n’ai pas réussi à m’attacher au
timbre juste de sa voix qui passe à côté de l’émotion. Les
arrangements faciles dénaturent les originaux comme un yahourt smoothie multifruits
brise l’onctuosité d’un savoureux fromage blanc. J’ai pourtant essayé de
me plonger dedans, de verser une larme salée le long de mes joues creuses, je
n’y suis pas arrivé. A force de revisiter les monuments, les murs du son se
défraichissent. A l’image de ses commentaires répétitifs dans l’émission «The
Voice», nous savons désormais qu'elle s’imprègne plus facilement des âmes
écorchées vives que des fous chantants. Elle aime se faire mal et souffrir. Je
n’ai pas été étonné de trouver parmi les douze reprises, le cafardeux «Si maman
si», le suicidaire «Message personnel», le revendicateur «Diego libre dans sa
tête» (aux antipodes de l’interprétation émouvante de Johnny) et le mortuaire
«Evidemment» (en hommage à l’ami Balavoine). Loin devant, "Poupée de cire,
poupée de son" donne un élan de modernité à ce morceau vieillot. Femme
fatale ou tendre ingénue, je la préfère dans ce registre. Dans l’ensemble, je
déplore un manque flagrant de sincérité. Elle chante, point barre.
Parmi
ses nombreuses confessions, Jenifer clame son amour pour la groupie du
pianiste qui ne l’entend pas de son oreille à l’affût des royalties
susceptibles de lui échapper. Enfreindre les règles sacrées des droits
d’auteur, c’est pêché! Dans ce contexte tendu, l'admiration manque légèrement
de réciprocité. Grosso modo, pas de demande de droits, pas
d'chocolat. Lâam qui connut son tout premier succès avec «Je veux chanter
pour ceux» a pris une lame aiguisée dans le dos puisqu’elle fut également
accusée de ne pas avoir eu l’autorisation de reprendre cette chanson. A son
tour, quelques mots qui font mal, qui font mal. Elle n'a, elle n'a, elle n'a..
qu’à se mettre au boulot, s’entourer d’auteurs-compositeurs compétents et nous
sortir une brioche moelleuse de son four éteint depuis 1992, date tragique de
la disparition de celui qui chantait autour de nous. Le prince des vinyles
donnait tout pour une musique écrite pour adoucir les moeurs et non pour durcir
les rancoeurs. Pour le coup, ça n'tient plus debout.
Hervé Gaudin.
* De son vrai prénom Isabelle, France Gall est surnommé Babou par ses proches.