mardi 12 mars 2013

Chauffe Marcel, chauffe!

La java triste

L’accordéon noir toujours aimable jouera sans son orchestre. Bretelles baissées, l'instrument ronflant du bal musette balance sans demi-mesure une dernière java bleue à travers cette brume hivernale qu’une simple chansonnette peut dissiper. L’hirondelle des faubourgs n’atteindra pas le printemps. Georgette Plana s’en est allée emportant avec elle la mémoire guinchante d’après-guerre. Le temps de la rengaine a sacrifié ses airs ringardisés par un siècle ingrat où des artistes béatifiés disparaissent plus vite qu’ils n’apparaissent. 
Une courte carrière enrichie de reprises permit à cette agenoise à la voix gouailleuse de remporter de francs succès populaires. Sur scène, elle accompagna Bourvil, Antoine et le groupe Martin Circus. Bien plus tard, Pascal Sevran raillé de donner une vraie chance au répertoire français, l’invita à plusieurs reprises dans son émission culte égayant les salles de repos dans les maisons de retraite. Elle finit sa vie à l’Isle Adam, méconnue et oubliée. Pour autant, doit-on se moquer de ces refrains d'antan mêlés aux souvenirs émus de nos grands-parents? Pensez-vous que nos ascendants abrutis par une version aggravée de l’épileptique tecktonik ou du grotesque Gangnam style, écouteraient encore Zaz, interprète bohème et perce tympans? Dans le tourbillon de l’ennui où les générations MP3 bannissent pour toujours ces vieux tourne-disques au diamant éternel, je regrette cette époque bénie des guinguettes enchanteresses. Le petit vin blanc y coulait à flot au bord de la Marne habillée de nénuphars rondelets. Un soleil lourd se reflétait en été sur l’eau verte où se baignaient des grenouilles de passage. Entre les tables grinçantes, les femmes aux robes fleuries tourbillonnaient au cou d’un compagnon de fortune, casquette à carreaux posée en biais sur une chevelure gominée et les mains crispées fermement au bas du dos. Puis la foule étourdie les emportait jusqu'à la tombée de la nuit. De ces cafés dansants, transpirait cette joie de vivre stimulée par deux guerres assassines. Comme une toile de Fernand Léger, la musique de Georgette Plana sentait bon l’air d’un temps que les moins de vingt ans regretteraient de ne plus connaître.

Hervé Gaudin.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire